Biphobie, comprendre, reconnaître et combattre la discrimination bi

23/05/2025

La biphobie est un sujet mal compris, pourtant bien réel et aux impacts nombreux.

Définition simple de la biphobie

C’est quoi la biphobie ? Selon l’essai l’Architecture de la Biphobie (2025), la biphobie consiste en la discrimination et discours de haine envers les personnes ayant à la fois de l’attirance homosexuelle et hétérosexuelle, dans un contexte sociétal d’homophobie.
La biphobie n’est pas le mot utilisé pour décrire l’impact que l’homophobie a sur les personnes bisexuelles. Quand une personne bisexuelle est exposée à l’homophobie, ce qu’elle vit reste de l’homophobie. En effet, ayant à la fois de l’attirance homosexuelle et de l’attirance hétérosexuelle, les personnes bi sont exposées à l’homophobie au même titre et à niveau équivalent que toute personne homosexuelle, à niveau de visibilité égal. Ainsi, une lesbienne dans le placard et une femme bisexuelle dans le placard vivent de la lesbophobie tout autant, par le dénigrement, l’invisibilisation et le stress que produisent le fait de vivre dans une société qui condamne l’attirance entre femmes. Une lesbienne en couple lesbien et une bisexuelle en couple lesbien sont exposées de façon équivalente à la lesbophobie que ce soit par le risque de violence dans l’espace public, le rejet familial, religieux et culturel.

Pour se figurer quelle est la différence entre homophobie et biphobie voilà deux exemples simples.

  • Si une femme bisexuelle se voit refuser la location d’un bien avec sa compagne dès lors qu’elles ne sont pas seulement déclarées comme colocataires, elle vit de la lesbophobie.
  • Si une femme bisexuelle se voit victime de ragot la dépeignant comme « mangeant à tous les râteliers », elle vit de la biphobie.

La biphobie et l’homophobie sont différentes dans leur manifestation et dans les stéréotypes qui en découlent. La distinction concernant les stéréotypes est décrite comme il suit pour les femmes dans l’Architecture de la Biphobie :

Les lesbiennes sont dénigrées et vues comme des femmes laides, prédatrices de femmes hétéros, masculines ou garçon manqué, violentes, possessives, autoritaires, féministes hystériques. Les lesbiennes sont perçues comme détestant les hommes et les imitant dans leurs couples. Une grossophobie spécifique s’abat sur elles. Ces dernières sont stéréotypées comme grosses et dénigrées pour ça (…) Les femmes bisexuelles peuvent être visées par ces stéréotypes -en particulier les femmes bisexuelles masculines- mais ne sont généralement pas stéréotypées comme ça. Les stéréotypes négatifs visant les femmes bisexuelles sont différents. Les femmes bi sont vues comme privilégiées, séductrices, hypersexuelles et infidèles, hyper-féminines, porteuses d’IST, menteuses, manipulatrices, psychopathes ou sans affect, en recherche d’attention ou de sensation forte et briseuses de cœur.

Un stéréotype en particulier unit et distingue les lesbiennes et les bisexuelles : celui de la prédation. Les femmes lesbiennes sont perçues comme prédatrices de femmes hétéro. Les femmes bisexuelles, elles, sont perçues comme des prédatrices d’hétéro, mais également comme prédatrices de lesbiennes.

Les stéréotypes biphobes visant les hommes sont un peu différents que ceux visant les femmes. Les hommes bi sont eux décrits comme vecteur d’IST, en particulier du VIH, depuis la crise du SIDA. Ces derniers ont été particulièrement stigmatisés et accusés d’avoir propagé la maladie depuis la communauté gays, vers la société hétérosexuelle. Ils sont également stéréotypés comme étant des gays dans le placard, indécis et dans le déni de leur homosexualité stricte et comme foncièrement incapables de former des relations stables. Ils sont particulièrement rejetés par les femmes qu’ils peuvent être amenés à fréquenter qui les jugent comme indignes de confiance et instables, et peuvent être jugés à selon les stéréotypes homophobes, comme étant trop efféminés et pas assez virils.

Biphobie intériorisée : comment la détecter ?

La biphobie intériorisée signifie qu’une personne bisexuelle a assimilé les discours biphobes et y adhère désormais au moins en partie. Cette biphobie est donc dirigée contre elle-même, ainsi que contre sa propre communauté.

Voici une liste non exhaustives des pensées que peuvent produire la biphobie intériorisée particulièrement chez les femmes cisgenres (les femmes bi transgenres ont des défis similaires mais qui interagissent avec la transmisogynie) :

Auto-dévaluation ou doute :

  • Je suis hétérosexuelle stricte en réalité, je veux juste attirer l’attention sur moi
  • Je me suis trompée, je ne suis pas vraiment bisexuelle
  • Tant que je n’aurais pas eu de relation lesbienne, je ne peux pas vraiment être sûre que je suis bi
  • Je n’ai pas assez de relations lesbiennes pour fréquenter la communauté LGBT (Note : ce genre de pensée peut se présenter différemment chez les femmes bi transgenres qui peuvent penser qu’elles ont le droit de fréquenter la communauté LGBT parce qu’elles sont trans, mais pas parce qu’elles sont bisexuelles)
  • Je suis une traînée
  • Je suis une manipulatrice
  • Je suis une prédatrice avec les femmes et j’ai probablement commis des actes oppressifs sans m’en rendre compte (Note : le stéréotype de prédation des femmes concerne également plus lourdement encore les femmes transgenres)

Sur-évaluation de sa position dans la société :

  • Je suis privilégiée parce que je peux cacher mon attirance homosexuelle
  • Si je vais dans la communauté LGBT, ce serait déplacé et égoïste de ma part
  • Si je participe aux évènements LGBT, je ne dois pas prendre la parole ou de place
  • Ma perspective sur l’homosexualité est moins légitime que celle des lesbiennes parce que je ne suis pas une « vraie » homosexuelle

Rejet de sa double attirance :

  • Je serais tellement une meilleure personne si seulement je n’étais pas attirée par les homme (biphobie simple) / par les femmes (biphobie et lesbophobie intériorisée)
  • J’ai honte de mon partenaire quand je suis dans les espaces LGBT
  • La seule bonne façon d’être bisexuelle, c’est le lesbianisme politique

Rejet de sa communauté :

  • Les bisexuelles sont cringes et génantes, je ne suis pas comme elles
  • Moi je suis une vraie lesbienne, pas comme les fausses bi
  • La communauté bisexuelle se victimise
  • Je suis d’accord avec le militantisme bisexuel, mais il ne doit pas prendre trop de place ou parler des sujets qui fâchent
  • Je préfère ne pas utiliser le mot bisexuel pour me définir

La biphobie intériorisée a des impacts tant sur son estime personnel, son sens de l’identité que sur notre rapport aux autres bisexuels.

La biphobie dans la communauté LGBTQIA+

L’Architecture de Biphobie revient longuement sur l’histoire de la communauté LGBTQIA+ et la façon dont le rejet et le contrôle des bisexuels y a été documenté depuis les années 70 tant aux USA qu’en France. Le livre Bisexualités Féministes, écrit par des autrices Argentines dépeint lui aussi un rejet initial qui a été observé dans la communauté lesbienne face aux premiers coming out des femmes bisexuelles qui militaient en leur sein.

Ce rejet et cette méfiance sont expliqués dans l’Architecture de la Biphobie comme relevant d’un phénomène classique observé dans les guerres asymétriques, impactant les binationaux. Ainsi, la puissance attaquante -ici la société hétérosexuelle- contrôle, réprime et fétichise ses binationaux, tandis que la communauté attaquée -ici la communauté lesbienne- tend à suspecter et rejeter les binationaux et à leur refuser l’assistance et la solidarité face aux attaques de la puissance attaquante.

Exemples concrets de biphobie dans les espaces militants et sociaux

L’intégralité de la communauté LGBTQIA+ n’est pas hostile aux bi, et on observe des efforts d’inclusions, c’est important de le préciser. On peut noter cependant des comportements réguliers d’exclusion et d’invisibilisation.

Liste non exhaustive d’attitudes décrites par les femmes bisexuelles :

  • Discours méprisant et infantilisant sur les femmes bisexuelles ou en questionnement qui sont appelées de façon péjorative les « hétéro-curieuses ». Ces dernières sont décrites comme indignes de confiance, pas sérieuses ou moralement défaillantes dans leur questionnement et leurs interactions avec les femmes
  • Assimilation des femmes bisexuelles à des prédatrices qui recherchent des femmes pour leurs plan à trois avec leur partenaire masculin, ou pour se donner un petit frisson,
  • Accusation de performance d’un faux lesbianisme pour attirer le regard et la validation masculine,
  • Discours sur les femmes bi qui seraient destinées à toujours retourner dans des couples avec des hommes, par facilité, stupidité ou après s’être rendu compte qu’elles ne seraient pas vraiment lesbiennes,
  • Humiliation de la sexualité des femmes bisexuelles, dégradation et hypersexualisation,
  • Harcèlement des militantes bi et pan qui militent pour la bisexualité et non pour le lesbianisme,
  • Propagation de fausses informations minimisant les statistiques de violence conjugale, de pauvreté et de mort prématurée des femmes bisexuelles,
  • Accusation prétendant que les femmes cisgenres bisexuelles se victimisent et se pensent même plus vulnérables que les femmes trans,
  • Minimisation et invisibilisation du rôle et de l’influence positive des femmes bi dans l’histoire de la communauté LGBT,
  • Négation de la violence du milieu LGBTQIA+ envers les femmes bisexuelles,
  • Assimilation des témoignages de violence vécu par les femmes bisexuelles dans la communauté comme des entreprises lesbophobes,
  • Accusation d’envahissement des espaces et d’invisibilisation des lesbiennes,
  • Étiquetage des femmes bisexuelles célèbres comme lesbiennes
  • Violences conjugales et coercition dans le couple lesbien, basées sur des stéréotypes biphobes,
  • Elévation de la pansexualité comme une étiquette plus cool et légitime que l’étiquette bi dans les milieux lesbiens,
  • Instrumentalisation du concept de pansexualité pour faire passer les bisexuels pour des personnes transphobes par essence,
  • Moqueries visant les pan, en particulier les pan non binaires en les associant aux cheveux bleus et aux discours d’internet déconnectés de la réalité (mélange de biphobie avec une forme de transphobie).

Celia Luna, une psychologue bisexuelle, récolte des témoignages de biphobie. On y trouve des exemples comme : « Je suis bi. Je rencontre une personne non binaire qui apprend que je sors avec un mec. Iel balance à son coloc : je passe pas après ça ! » ou encore « Je suis bi. Quand j’ai quitté mon ex, elle m’a dit que de toute façon je n’étais pas une vraie lesbienne ».

Du côté de la communauté gay, la biphobie est plus marquée par un paternalisme envers les hommes bi qui sont considérés comme incapables de reconnaître leur véritable homosexualité, et une invisibilisation de leur orientation. Leur bisexualité est également remise en cause si ils n’ont pas été ouvertement en couple avec des hommes. Plusieurs hommes bi célèbres ont été accusés de queerbaiting (faire semblant d’être queer pour gagner la sympathie du public et capitaliser sur l’identité queer) et obligés de faire des coming out précoces. C’est le cas de Kit Connor, l’acteur qui jouait un jeune homme bisexuel dans la série Heartstopper.

Statistiques et conséquences de la biphobie

La biphobie isole et stresse les personnes bi et retarde la formation d’une communauté bi et pan capable de s’apporter du soutien et de lutter contre les discriminations. Cela n’est pas sans conséquence. L’Architecture de la Biphobie propose une revue de la littérature scientifique. Il y est démontré que les bisexuels sont plus vulnérables que les hétéro, mais également que les gay et/ou les lesbiennes face aux violences conjugales (Bermea et al., 2018, Turell et al., 2018), au risque suicidaire (Pompili et al., 2014, Salway et al., 2019), à la pauvreté (Ross et al., 2016), qu’ils ont une moins bonne santé (Feinstein & Dyar 2017, Caseres et al., 2017), souffrent de plus de tabagisme (Shokoohi et al., 2021), d’addiction (Shultz et al., 2022), et de mort prématurée (McKetta et al., 2024).


Que faire pour lutter contre la biphobie ?

Pour faire reculer la biphobie, il n’y a pas de secret. Il faut que les bi et les pan s’organisent et militent en ce sens. Le rôle des alliés n’est pas négligeable, mais il ne peut remplacer une communauté militante bi et pan autonome.